samedi 30 juin 2001

Des milliers de personnes ont marché jeudi à Bouira



La wali a promis la libération des détenus pour aujourd’hui


La marche grandiose organisée ce jeudi à Bouira était une vraie manifestation citoyenne. Venus de différentes localités de la wilaya, les marcheurs ont fait preuve d’un civisme exemplaire. Avant de se disperser dans le calme, les Bouiris ont clamé devant le portail de la wilaya une seule demande : «Libérez les détenus !»
Il était 9h30 quand la foule commençait à s’amasser en un laps de temps très court, jouxtant le stade communal. Les citoyens continuent à arriver de M’chedallah, Chorfa, Ahnif, Ath Manseur, Bechloul… Cent mètres plus loin, les bus et autres fourgons d’Ath Laâziz, Ath Meddour, Lasnam constituent les premiers carrés des marcheurs, les organisateurs des aârouch de «Tuviretz» veillent au grain et font patienter les jeunes et les moins jeunes. Un cordon de sécurité a été mis en place. Les organisateurs, issus des aârouche, daïras et communes de la région scrutent les lieux : «Il ne faut rien laisser au hasard... La leçon d’Alger est plus que jamais présente dans les esprits.» Ainsi, les premières infiltrations ont été détectées et évacuées. A 10 heures, il fait un soleil de plomb, la marche s’est ébranlée de l’ancien souk de la wilaya. Le premier carré de la marche met le compte à rebours... «Dans une heure, on aura la réponse du wali.» Les baroudeurs de Bouira occupent le quatrième carré, tous les yeux sont braqués sur ces jeunes qui ne reculent devant aucune peur.
Les enfants d’Ahnif, Haïzer, Lasnam et Ath Laâziz, aguerris par 60 jours d’émeutes, font peur. «Mais aujourd’hui, nous sommes venus marcher pacifiquement, exiger la libération immédiate des prisonniers et rentrer calmement chez nous», nous assure un organisateur. Vingt minutes plus tard, Bouira est devenue une énorme fourmilière. Elle était belle avec ces dizaines de banderoles noires, jaunes et bleues. Des slogans hostiles au pouvoir fusent de partout. A la tête de la marche, sept personnes arborent une banderole : «Libérez nos détenus !» Devant eux, deux jeunes brandissent le drapeau national. On laisse derrière nous le boulevard Amirouche sans incident. La place Bouras est, désormais, occupée par les marcheurs. C’est à ce moment que la foule, en entamant le carrefour qui mène au siège de la wilaya, crie : «Azzul... Bouira est amazigh.» En face des policiers, on s’est contenté de sifflements et de «Pouvoir assassin» .
Deux caméras filment la manifestation. «c’est pour archiver notre combat», nous confie le cameraman. A 10h30, l’espace qui sépare le siège de la wilaya de la route est envahi immédiatement, la coordination des aârouch improvise un briefing de «dernière minute». Alors, sept représentants des aârchs se détachent, et se faufilent à travers une trentaine de policiers sans armes. A ce moment, les marcheurs scandent la libération des détenus. Exceptionnellement, on nous laisse prendre part à la rencontre avec le 1er responsable de la wilaya. Une fois installés, le délégué des populations prend la parole : «A l’instar des populations kabyles, celle de Bouira a manifesté son ras-le-bol. Elle continue de le faire depuis deux mois dans le calme.» Et d’ajouter à un wali attentif : «Nos citoyens ont été agressés, blessés et emprisonnés... Ce qui est urgent pour le moment, c’est de libérer les détenus.» L’orateur marque un temps d’arrêt et enchaîne : «Voilà le message des foules qui attendent devant le portail».
Ensuite, lecture sera faite de la déclaration qui sera la plate-forme de revendications des six wilayas avant d’être remise au wali.
A 11 heures, la délégation est accueillie à sa sortie par des applaudissements. Le porte-parole rend compte de la rencontre. fait inattendu : la foule n’est pas satisfaite.
«Pour quand la libération ?» D’une seule voix, les marcheurs crient une, deux et plusieurs fois. C’était le moment le plus critique de la marche. L’irréparable aurait pu avoir lieu… La foule est de plus en plus déchaînée.
Les organisateurs demandent, en urgence une deuxième rencontre avec le wali. Les marcheurs se calment. Dix minutes plus tard, les sept délégués réapparaissent : «La libération des détenus se fera samedi [aujourd’hui, NDLR]. Voilà la promesse du wali.» Cette phrase a suffi pour dissuader les marcheurs de passer à l’émeute…
D’ailleurs, les «baroudeurs» étaient à deux doigts. «On va encore patienter», a dit la foule, «Mais la patience a ses limites», précise-t-on encore.

De notre envoyé spécial Idir Dahmani, Le Jeune Indépendant, 30 juin 2001